par Séverine Duhau-le Hung
33. C’est ce qu’affichent unanimement les téléphones, mais il ne s’agit pas de l’heure : c’est la température à l’ombre. Il est midi, le soleil brûlant arrive tranquillement à son pic, et nous attendons avec impatience la décision de l’organisation pour savoir si nous allons pouvoir prendre le départ – et courir ainsi à l’heure la plus chaude de la journée…
Le groupe des runners « fous »
…« Nous », c’est la poignée de runners fous qui a décidé de se joindre aux triathlètes de la « Boada’s Half », pour courir avec eux le semi-marathon qui clôture leur épreuve. Eux, ils se sont jetés à l’eau à 8h30, pour enchaîner natation (1,9km) et vélo (90km) : les premiers sont déjà arrivés, mais le gros du peloton, retardé par la chaleur écrasante de ce samedi 18 juillet à Barcelone, est attendu vers 12h45.
Pour moi, point de triathlon bien sûr : même si l’eau est mon élément depuis toujours, la simple perspective de tenir en équilibre sur les 2 roues fines d’une machine infernale qui emprisonne mes pieds me fait hurler de rire, de peur ou d’incrédulité – ou les 3 à la fois. Allez, tant qu’à faire, autant l’avouer : je ne sais pas faire de vélo, je n’ai jamais su, et j’en éprouve assez peu l’envie… C’est donc dans mes bonnes vieilles baskets que j’ai débuté dès 9h cette journée sportive, avec une première course de 10km destinée aux runners «en initiation ». Epreuve moins anodine que prévu malgré le rythme tranquille et le plaisir de jouer les « pacers » pour ma sœur et son ami, en raison de la température déjà élevée et éprouvante pour l’organisme.
Une douche, des vêtements frais, pas mal d’eau, et me voici de nouveau devant la boutique ProRunners de Barcelone, qui organise cette course aussi informelle que professionnelle, aussi importante pour ses participants que non-homologuée par une quelconque fédération. La « Boada’s Half », en effet, c’est un triathlon d’anniversaire : celui qu’organise tous les ans un homme, Joan Boada (triathlète de Barcelone et entre autre, créateur de la Course Desert Run) pour souffler ses bougies avec une communauté d’amis et de passionnés. Course malgré tout encadrée par des coachs, dont nous attendons justement l’avis : est-il raisonnable de prendre le départ d’un semi-marathon, à plus forte raison après déjà plus de 4h d’effort, alors que même immobiles et à l’ombre nous transpirons et devons boire régulièrement ?
Alors que les derniers cyclistes changent de baskets et se ravitaillent, la voix de l’organisation s’élève soudain : la partie running aura bien lieu, mais sur 10km seulement, et sur une partie de parcours qui compte des points d’eau en nombre suffisant. Le soulagement est réel, car l’envie de s’élancer est bien là – et l’appréhension l’est tout autant, car nous savons que ce qui nous attend est loin d’être une partie de plaisir.
« Vous n’allez quand même pas courir maintenant ? »
Si, nous allons. Départ dans 5min.
Run again
10km : même quelques heures seulement après avoir déjà couru la même chose, la distance totale n’a rien d’extraordinaire. Mais la rupture dans le rythme m’intéresse, car c’est une excellente occasion pour travailler la capacité de résilience qui devrait m’être utile lors de la succession d’étapes de la Desert Run.
Pour tromper mon mental et entamer cette course « comme si c’était la première » de la journée, j’ai décidé, une fois n’est pas coutume, d’utiliser un stratagème musical. J’ai démarré ce matin avec « One » de Metallica dans les oreilles (même dans la version accompagnée d’un orchestre philarmonique, la double grosse caisse est un coup de pied aux fesses appréciable), et c’est donc avec ce même morceau, et la même playlist à suivre, que je vais repartir.
Cette répétition à l’identique d’une même séquence est une technique simple pour créer une forme d’amnésie, car tout ce qu’il y a eu entre les 2 est comme « mis entre parenthèses ». Or, oublier que j’ai déjà couru est exactement ce que je recherche !
Dès que la photo de groupe est dans les iPhone, et que le « Vamos » collegial nous met en mouvement, je lance « One » – en replongeant mentalement dans les sensations d’un début de course.
Dès le départ, je réalise la nature du challenge : les athlètes de ce groupe-ci ne blaguent pas du tout, leur niveau est clairement plus élevé que le mien. Je m’accroche un moment, mais je sais que je risque de me cramer complètement – alors je mets mon orgueil de côté, laisse le peloton partir et reprends mon rythme. Pour moi, ce sera course en solitaire !
Je note l’importance de ce « lâcher-prise » : je connais trop la tentation de partir trop vite, et je sais que sur une course, et plus encore sur une course par étapes, c’est une erreur classique – que l’on paie cash. On utilise souvent en hypnose la notion de « Post-It mental », pour parler de ces alertes internes que l’on se met pour garder une idée en tête. Je créé donc aujourd’hui un Post-It rouge, qui porte une inscription inspirée de celle que je vois partout dans les boutiques de Barcelone :
« Keep Calm and RUN at your OWN PACE».
Running in the Sun
Nous courons le long de la plage, en direction du fameux Hotel W, point de mire dans l’horizon de Barcelone. Je connais ce parcours par cœur, et je peux donc très facilement le visualiser. Je commence à me concentrer sur les différents points à atteindre : cette focalisation va me permettre de penser à autre chose qu’à la chaleur intense ! Il est important que je divise le trajet, car si pense que je dois tenir encore 10km, soit une petite heure, dans cette fournaise, j’ai peur de capituler assez vite… En posant deux jalons intermédiaires (dont un sur une fontaine qui délivre une eau chaude écoeurante, que j’avale pourtant tel un nectar savoureux !), j’arrive à bout des 5 premiers kilomètres, au pied de l’Hotel W. J’ai évidemment croisé mes co-runners qui, eux, revenaient déjà dans l’autre sens – ils ont ce regard fixe et plongé en eux-mêmes qui me prouve que même pour ces athlètes familiers des efforts intenses, l’épreuve n’est pas une balade de santé…
C’est en faisant demi-tour que je comprends que les 5 kilomètres restant vont être longs : je prends maintenant l’air en pleine face – un air chaud, qui assèche la gorge. J’ai regardé il y a quelques jours un documentaire sur la course extrême Badwater : un concurrent y expliquait que pour comprendre ce que cela fait de courir dans la Vallée de la Mort, il faut allumer un sèche-cheveux à pleine puissance et se le mettre dans la figure. Certes, nous n’en sommes pas là – mais sa réflexion prend tout de même une certaine résonnance…
De nouveau donc, je divise le parcours, et me concentre sur Barceloneta, à moins de 2 kilomètres de là. Ce n’est rien, une dizaine de minutes de course, 2 ou 3 morceaux sur mon iPod, tout au plus. Je me plonge alors complètement dans la musique : ces morceaux de Nightwish ou Rammstein (j’avais prévu du lourd…) que je connais par cœur et dont je suis chaque note, chaque variation de rythme. Plus rien n’existe autour de moi, je laisse mes jambes faire ce qu’elles savent faire et je place la moindre parcelle de ma conscience dans l’écoute, fermant ainsi la porte à toute autre pensée parasite…
Running in Silence
C’est à l’arrivée à Barceloneta que ma conscience me rattrape : je manque d’eau, la prochaine fontaine est à 1km environ, et j’ai l’impression d’avancer contre un mur. Comme lors de mon premier marathon, arrive ce moment où les stratagèmes ne sont plus de mise : j’arrache mes écouteurs que je ne supporte plus, et je rassemble tout ce qu’il y a ailleurs, au plus profond de moi, tout ce pourquoi je cours, tout ce pourquoi je suis là aujourd’hui, tous ceux qui aimeraient pouvoir la courir, aussi… Le front de mer est bondé, mais je trace mon chemin comme par miracle entre les touristes que je regarde sans les voir, jusqu’à cette fontaine si loin, si proche…
Evidemment, une partie de moi sait que tout cela est relatif : les marchands ambulants sont partout, il me suffirait de m’arrêter acheter une bouteille d’eau si vraiment je le sentais nécessaire – je connais suffisamment les signes de la déshydratation pour ne pas me mettre en danger !
La fontaine est enfin là, et l’atteindre est un coup de fouet aussi psychologique que physique : mon corps rassasié repart d’autant plus belle que mon mental sait que le jalon suivant est maintenant le dernier. La boutique ProRunners, avec son ravitaillement d’arrivée et la climatisation me font l’effet d’une oasis vers laquelle j’ai maintenant l’impression de voler. Je pense aux visages que je vais retrouver à l’arrivée, Joan, Karim, Helena, d’autres aussi dont je ne connais pas le prénom – je cours vers eux avec cette exaltation de savoir que j’y suis, que je peux le faire, que je l’ai fait…
Assise à même le trottoir devant la boutique, je sirote ma boisson isotonique en laissant à mes muscles le temps de récupérer. J’écoute distraitement les autres coureurs commenter la température et leurs sensations. Et pendant que mon conscient déchiffre leurs phrases en espagnol, j’enclenche un mode « ancrage », pour que mon corps et mon esprit enregistrent profondément ce bien-être, cette satisfaction – allez, disons-le, cette fierté – d’avoir relevé ce défi.
Je sais que je suis encore loin d’être totalement préparée pour le Sahara – mais je sais aussi que cette « Boada’s Half » était sans nul doute un pas important vers la Desert Run.
Résumé en images de la Boada’s Half 2015
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