L’hypnose avec un grand K comme … Kilian

kevin-finelbw Pour de nombreuses personnes qui s’intéressent à l’hypnose, qui l’ont apprise ou la pratiquent, la lettre K évoque le prénom du fondateur de l’Arche (Académie pour la Recherche et la Connaissance en Hypnose). Comme de nombreux praticiens issus de cette école, Kevin Finel est pour moi un professeur, un mentor, quelqu’un que je considère comme un précurseur dans son domaine et, bien sûr, un géant de l’hypnose (à tous les sens du terme).
Mais que dire sur Kevin, que n’exprimeraient pas déjà ses formations, ses livres ou son blog ?
Cet article parle donc d’un autre « K » de l’hypnose aux capacités hors normes, un géant d’1m71 qui gravit les montagnes comme je monte les 3 étages qui mènent à mon appartement : Kilian Jornet.

kilian-jornet_03 Si certains « hypnos » lisent ces lignes, je les imagine dubitatifs : « Bandler, O’Hanlon, Rossi, ok… mais qui est ce Jornet » ? Même questionnement chez les runners-lecteurs : « Kilian, un hypnotiseur « ?
Certes, l’actuel champion du Monde de Sky Running, qui détient des records sur tous les parcours mythiques d’ultras, n’a probablement jamais mis les baskets dans une école d’hypnose. Mais il pratique naturellement au quotidien tout ce que l’hypnose propose et permet, à savoir optimiser le fonctionnement de son mental pour atteindre ses objectifs. Ses livres et ses films illustrent l’efficacité avec laquelle il utilise les capacités d’imagination, d’apprentissage et de résilience qui sont le propre de notre cerveau (cf article Colloque Hypnoses 2014), au service d’une détermination sans faille. J’ai eu la chance d’assister, il y a quelques jours, à la présentation parisienne de «Déjame Vivir », en présence de Kilian Jornet : ses commentaires et réponses aux questions du public, à l’issue de la projection du film qui relate son récent record d’ascension du Mont Cervin, ont confirmé ma conviction que cet « ultra-terrestre » a parfaitement intégré toutes les techniques qui sont au cœur de la pratique hypnotique.

 Visualisation et futurisation, vers la victoire

Couriroumourir Je connaissais l’athlète, mais c’est la lecture de «Courir ou Mourir » (journal de bord autobiographique)  qui m’a scotchée : derrière ce titre aux accents d’ultimatum, se cachait bel et bien un petit manuel d’auto-programmation à l’usage des amateurs de course à pied.
Ainsi, dès les premières pages, à la veille d’une course importante, Kilian raconte :
« Je repasse rapidement la course en revue. Je m’imagine en train de faire le parcours, les détails de la course. J’essaie d’imaginer l’état de mon corps à chaque moment. Je situe l’endroit exact où je prendrai chaque gel, à quel moment je boirai, à quel moment je devrai accélérer ou bien laisser les autres prendre les devants… »
Une préparation par visualisation qui s’inscrit dans le corps, de manière à laisser le mental complètement libre pour l’essentiel, à savoir la gestion de l’effort.
Classique, mais efficace.

Moins classique en revanche est le récit de la course en elle-même, et plus exactement les derniers kilomètres, lorsque Kilian, en difficultés, doit aller puiser au bout de ses forces pour rattraper le concurrent devant lui (qui se nomme César). Il explique ce qui se passe pour lui à ce moment là :
« Dans ma tête, une retransmission radiophonique s’opère. Le speaker commente la course, mais pas celle qui se déroule en ce moment, celle qui viendra après :
-« César réalise une fin de course brillante. Ses poursuivants commencent à montrer des signes de faiblesse et il semble que personne ne puisse lui prendre la victoire… Attention ! Kilian attaque ! Et avec quelle puissance ! Il est sur le point d’atteindre César. Le rythme qu’il vient de donner à son corps est impressionnant. S’il continue ainsi jusqu’à la ligne d’arrivée, il va avoir un bel avantage ! Il est déjà en première position et le rythme est superbe. […] Il regarde derrière lui mais il est seul. Quelle joie ! Incroyable victoire qu’il est sur le point de remporter ! Il salue le public. Des larmes de joie roulent sur ses joues ! » Tandis que ces commentaires quittent déjà mes pensées, d’autres pensées surgissent : Que vais-je ressentir en arrivant le premier ? Je me transporte dans le futur. A ce moment précis, j’entends les cris du public, mon nom retentit dans les haut-parleurs mais je m’en moque. C’est la joie totale, la joie d’avoir pu le faire, joie partagée à une vitesse inimaginable à travers les nuages alors que mon corps me répond avec des larmes.
Soudain, je ressens un frisson. Ces émotions étaient réelles. Je remarque mes yeux humides. Cette sensation a été tellement forte, cette émotion, que j’essaie de la ressentir à nouveau. J’en ai besoin. Je dois y aller vers César ! Je m’imagine alors qu’il y a une longue corde qu’il laisse trainer par terre et que je l’attrape, et qu’en m’aidant avec les mains, à chaque pas je tire avec acharnement pour me rapprocher peu à peu, pas à pas, je me rapproche jusqu’à ce que mes chaussures se posent là où étaient les siennes il y a tout juste un instant. »
Kilian Jornet gagne cette course, au finish, après une remontée spectaculaire sur son concurrent. Grâce à cette stratégie de motivation particulièrement créative qu’une partie de lui à su créer, et mettre en place, au bon moment.

 C’est également cette capacité à imaginer des techniques pour aller plus loin grâce au levier du mental, lorsque le corps est au bord de l’abandon, qui lui permet de finir le Tahoe Rim Trail, après 260km de course, alors qu’une défaillance le terrasse à 20km de l’arrivée :
« Je sens le froid, et le vent qui fait bouger mes vêtements. Je suis debout devant le chemin et je ferme les yeux. Je choisis une chanson, une de mes préférées, de celles qui font accélérer et te donnent la chair de poule. Dans ma tête, je sens le grave qui commence en un rythme doux, pum pum, auquel s’ajoute la batterie tse tse pour donner plus de force au rythme. Je vois la scène dans l’obscurité, les musiciens sont immobiles au centre, la tête baissée, ils écoutent ce que donne le faible bruit de fond, au loin. Il s’amplifie peu à peu jusqu’au point culminant, je vois la scène s’illuminer, et le chanteur s’unir à la guitare électrique dans une explosion de rythme. Le son est frais et net, la scène a laissé la place aux montagnes, claires et précises comme la voix, et entre elles s’ouvre le chemin, ni large ni étroit, un chemin élégant. […] J’ouvre les yeux et je sens comme une force qui remonte de mes pieds jusqu’à ma tête. Je pars en courant, avec une énergie que mes jambes ne sentaient plus avant que la nuit tombe… »

 Course après course, chaque moment de faiblesse est ainsi dépassé, et Kilian a pour cela développé ce que l’on appelle une capacité à se mettre en transe, qui lui permet de gérer la douleur notamment.   Dans une interview donnée au magazine « Runners to the Pole », il explique :
« J’ai différentes techniques que j’ai développées tout au long de ma pratique. Par exemple, quand je participe à une course durant laquelle j’ai très mal partout et je souffre, je confonds mon cerveau pour qu’il oublie la douleur : j’invente des histoires, j’imagine qu’il y a des indiens qui me poursuivent, je chante des chansons… N’importe quoi qui puisse m’aider pour finir la course et atteindre mon objectif ».

C’est, de manière plus ironique, ce qu’il nous répète après la projection de « Déjame Vivir », quand on lui demande comment il gère la souffrance en course : « Après de 15 ou 20h de course, c’est normal d’avoir mal aux jambes… moi dans ce cas là j’accélère : comme ça, j’ai mal moins longtemps ! » 😉

 Dépasser les barrières du mental

Un article sur le golf, dans l’Equipe Magazine, m’avait particulièrement frappée il y a quelques mois : intitulé « L’ennemi intérieur », il expliquait comment le cerveau est le principal adversaire des golfeurs. De nombreux exemples montraient des champions dévastés après une mauvaise balle, qui témoignaient du fait que l’on a tendance à oublier les coups réussis, mais qu’on focalise sur la balle que l’on a ratée, et qu’elle envahit la tête telle une pollution nauséabonde, empêchant la concentration lors des parties suivantes.
Je me souviens de mon étonnement à cette lecture : des champions admettent que leur mental peut leur pourrir une partie, mais n’ont pas l’idée d’utiliser cette puissance au service de leur victoire ?

C’est justement cette capacité de résilience qui est, elle, bien présente chez Kilian Jornet. Il analyse ainsi un « passage à vide » pendant une course :
« Qu’est ce qui m’a freiné ? C’est mon mental qui m’a déconcentré et démotivé. Il m’a mis des obstacles sur la route, et il a réussi à estomper l’image du but, à me désorienter et à me faire perdre le cap de la décision pour l’atteindre. Il m’a conduit à penser que ce n’était pas possible. Mais je ne suis pas triste. Au contraire, j’ai découvert que les limites n’existent pas pour notre corps. […] les vraies limites, celles qui conduiront à l’abandon ou à la poursuite de la lutte, celles qui nous permettront d’atteindre nos rêves, ne dépendent pas de notre corps, mais de notre mental, de notre motivation, de notre envie de rendre nos rêves bien réels ».
De cette découverte dont il fait une force, découle un état d’esprit qui lui permet de rebondir après les échecs, après la douleur : « Il y a de nombreuses courses qui m’ont paru difficiles, arrivé à un certain point… […] Ceci étant, une fois que j’ai terminé, la satisfaction est tellement grande que j’oublie les difficultés, et je fais en sorte de ne retenir que les bons moments ».

photoDejameVivir

Projection du film Déjame Vivir à Paris, le 1/10/2014

Se programmer positivement, c’est aussi la capacité de fixer des objectifs qui permettent d’avancer : ainsi, le projet Summits of my Life, qui consiste à battre les records d’ascension des plus hauts sommets, est né après un constat qui aurait pu être démotivant. Jeune prodige de l’ultra-running, il avait établi une liste des courses qu’il voulait gagner une fois dans sa vie, la liste de ses rêves. Mais à moins de 25 ans, il se rend compte qu’il a absolument tout remporté, et même plusieurs fois…
« Quand tu as tout gagné, tout coché sur ta liste, et que tu n’as plus rien à prouver, il faut quand même avancer ». C’est pourquoi dès 2011, il élabore un enchainement cohérent des sommets du monde qui le font rêver – et ce sont ces projets que l’on partage au travers des films A fine Line ou Déjame Vivir.

Alors bien sûr, si cette capacité à utiliser le pouvoir de l’imagination et la force du mental est nécessaire, elle est loin d’être suffisante pour expliquer des performances hors du commun – sinon, l’Arche compterait une belle équipe d’ultra-runners ! La trentaine d’heures d’entrainement hebdomadaire en montagne de Kilian Jornet y est aussi pour quelque chose… Néanmoins, à dispositions physiques équivalentes, c’est sans nul doute ce qui va faire la différence. C’est aussi ce qui va transformer la perception de la course, en exacerbant les émotions, pour permettre au plaisir d’agir comme un booster supplémentaire. C’est sur cette notion, qui est si importante dans ma propre approche de la course à pied, que se termine Courir ou Mourir :

« A chaque pas, je sens l’eau bouger dans mes chaussures, mais cela ne me freine pas, maintenant cela me pousse en avant, je cours plus vite, je saute plus haut. Je chante, je crie de toutes mes forces vers le ciel. Je suis heureux, personne ne saurait effacer ce sourire de mon visage. […] Il n’existe aucune frontière, aucune limite, maintenant, il n’y a rien qui puisse m’arrêter. »

About sevduhaulehung

Hypnose - Communication - Running
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